Ton père est autrichien. Ta mère, moitié autrichienne, moitié française. C’est elle d’ailleurs qui t’as affublé de ce prénom, qui lui faisait penser à Saturne. Sans se douter un seul instant que le caneton le plus connu de France avait exactement le même. Enfin, c’était loin et de son esprit, et du tiens. De toute manière, même si tu avais été au courant, tu n’aurais sans doute pas protesté. Tout simplement parce que tu ne voyais pas trop l’utilité de parler en étant plus jeune. Tu arrivais à te faire comprendre autrement, alors à quoi bon se fatiguer. Il faut dire que ta mère, ta sacro-sainte mère, réagissait au moindre de tes mouvements. Elle t’a toujours surprotégé, toi, son cher fils, l’espoir de la famille. Face à cette attention, cet amour, tu avais daigné lui obéir, faire ce qu’elle te demandait, ce n’était de toute façon généralement pas trop compliqué. Il ne fallait pas trop te brusquer après tout. Et comme contrairement à ton père, elle préférait te dorloter plutôt que de te mettre un bon coup de pied au cul, tu avais pris la fâcheuse habitude de te tourner vers elle au moindre problème. Ce qui marchait plutôt bien.

Elle fut l’heureuse élue pour beaucoup de choses. Tes premiers pas, tes premiers mots, beaucoup de toutes tes premières fois à vrai dire. Par contre, ton paternel, c’était autre chose. Tu te renfermais presque automatiquement dès qu’il pointait le bout de son nez. En même temps, lorsque vu ton retard à daigner sortir tes premiers mots, alors que ta mère avait émis l’hypothèse que tu étais peut-être tout simplement muet, il avait rétorqué que tu devais tout bonnement être débile. Et ton cher égo déjà trop gros pour ton âge n’avait pas du tout apprécié. Tu ne pouvais, et ne voulais, pas délibérément le défer, mais la fuite ou l’ignorance était pas mal non plus. N’empêche qu’il était, et reste toujours, la personne qui te cerne le mieux.

C’est qu’il n’est pas dupe, Mr Schöber, quand tu as enfin pu aller dans cette académie de magie autrichienne, il a bien vite compris que tes résultats moyens n’étaient pas totalement dus à un manque de compréhension. Mais plutôt un énorme poil dans la main. Ca couplé à un cruel manque d’envie de se retrouver au milieu des attentions. Parce que, une fois, une seule, tu avais daigné te bouger, et fais de ton mieux pour obtenir une note presqu’optimale. Parce que c’était l’anniversaire de ta mère, tu lui devais au moins ça. Tu n’avais peut-être pas réussi à avoir le maximum, mais c’était visiblement assez remarquable pour ton enseignant qui t’avais félicité, trop fort, trop longtemps à ton goût.  Alors tu te contentas de continuer dans une moyenne affreusement banale. Ce qui ne plaisait bien évidemment pas à ton père, qui avait essayé un peu par tous les moyens de te pousser à faire mieux. Jusqu’au jour où, malencontreusement, il marcha sur la queue d’Arsène, qui était en plein milieu de sa 18ème sieste de la journée. S’ensuivit feulements et tentatives d’intimidations de la part de la patate poilue.

Enfin, tu avais quand même une petite vie assez tranquille, tout ce qu’il te fallait.  Ton cercle d’ami n’était pas énorme, deux personnes pour être exact, dont une qui était Arsène.  La deuxième, c’était Harlan. Tu l’avais rencontré un peu plus loin ans le quartier, purement par hasard. Vous vous entendiez bien, vraiment bien. Le seul problème, c’était qu’Harlan, il était un sorcier. Pour le coup, tes deux parents avaient vu ce début d’amitié d’un très mauvais œil. Ta mère t’en avait même touché quelques mots. Alors au tout début, tu avais décidé de lui obéir, tout simplement.  Mais ce n’était pas aussi simple que tu ne l’aurais pensé. Ses moments passés avec lui étaient plus indispensables que  tu ne l’aurais cru.

Une seule fois dans ta vie, t’as décidé de mentir à ta mère. Ou plutôt, sur un seul point. Tu avais décrété que cette relation passait avant les principes qu’on t’avait inculqués, et qui pourtant ne t’avaient pas trop dérangés jusqu’ici non plus. Mais t’étais foncièrement convaincu que dans le cas d’Harlan, il valait bien plus qu’un simple sorcier, il était différent des autres. Peut-être l’exception qui confirmait la règle.

T’as jamais été très doué avec les sentiments, avec tes sentiments. Un peu une perte de temps aussi de ton point de vue. Alors même si t’avais aucune idée de ce que tu pouvais vivre avec Harlan, tu savais au moins que vous étiez proches, et que c’était quelque chose de spécial, que t’aurais voulu chérir. Que t’aurais chéri, si seulement, il n’y avait pas eu cette histoire de mariage. Un mariage arrangé, en France, qui enchantait tes parents. Ta mère plus particulièrement, heureuse de retrouver une partie de sa famille. Heureuse de te voir bientôt prendre ton envol aussi. Toi par contre, c’était loin de t’enchanter.  Loin de là. Tu n’en avais rien à faire. Du tout. Mais c’était indiscutable. Tu l’avais bien senti dès la micro seconde où tu avais envisagé de faire quelque chose contre. Et puis surtout, ta mère n’avait plus eu l’air aussi ravi depuis des années.

Vous aviez déménagé, et c’est sans doute de là que naquit ton amertume pour e monde, pour les personnes qui ont le malheur de croiser ton chemin. Une amertume particulière pour cette Béatrice à qui on voulait te lier. Elle ne t’avait rien personnellement. Elle avait même l’air d’une personne particulièrement douce, mais tu n’en avais rien à faire. Tu ne voulais pas savoir, persuadé au plus profond de toi-même que c’était entièrement de sa faute si tu avais été séparé d’Harlan.

Alors tu t’es rendu le plus invivable possible avec elle. Arsène avait bien vaguement essayé de te faire changer d’avis en te disant que tu exagérais, mais face à ta tête de mule, il avait vite abandonné, soupirant un peu quand tu lui préparais son thé uniquement dans le but de pouvoir y mettre du sel à la place du sucre. Rien de bien grave. Juste de quoi être extrêmement énervant à la longue, couplé de ta mauvaise foi légendaire.  Et quelques semaines avant la date fatidique, elle avait laissé sa colère éclater. Une embrouille que tu n’avais pas pu éviter pour le coup. Mais les parents s’en étaient mêlés, et ta mère avait assez vite décrété qu’il était hors de question que tu finisses avec une hystérique pareille. Et avait aussi réussi à te laver de tout soupçons, en tout cas à ses yeux. Comment sa chère progéniture aurait-elle pu faire une pareille chose. Elle t’avait plaint pendant des jours et des jours. Encore aujourd’hui en y repensant, il t’arrive d’encore te féliciter.

Cependant, malgré ce que tu avais espéré, vous êtes restés en France. Et mine de rien, les années s’écoulaient. Tu ne pouvais décemment pas continuer de vivre au crochet de tes parents. Il fallait que tu te bouges un minimum. Alors très naturellement, tu t’étais tourné une énième fois vers ta mère ? C’était certain que grâce à tes non-efforts pour avoir des notes mirobolantes, tu ne pouvais pas commencer un métier spécialement glorieux. Et dans toutes ses idées, tu en avais retenue une. Surveillant, dans cette école de magie. Et de sorcellerie, certes. Mais c’était toujours mieux que rien. Et dans ton esprit, ce n’était pas non plus trop fatiguant. Dans tes cordes en tout cas, alors pourquoi ne pas essayer ?