14 Juillet 1988.
Plutôt que de fêter ce jour comme bon nombre de personnes, cette petite famille des Leprince se trouve à l’hôpital de Clermont-Ferrand. Ils commencent d’ailleurs à être bien nombreux, et ce petit bout de fille vient y rajouter un nouveau membre. Voilà maintenant qu’ils sont cinq, en comptant les parents. Suffisamment riche, seul le père travaille alors que sa femme reste à la maison pour gérer cette dernière, les enfants ainsi que la nounou. D’ailleurs, en parlant d’enfants… Stéphane et Justine sont tous deux en train d’attendre le petit bout qui est arrivé il y a maintenant quelques heures. Et leurs yeux se sont illuminés en voyant le blond platine de cette chevelure. Un seul mot en est ressorti. « Belle ». Ce dernier est maintenant gravé à jamais dans sa vie.

Belle, donc, a reçu une enfance on ne peut plus normale selon certains critères plus ou moins définis, et si l’on oublie qu’elle a peu de contacts avec ses parents en général – trop occupés apparemment. Ils préfèrent passer du temps avec les deux ainés, Justine et Stéphane. Pour quelle raison ? L’enfant l’ignore, et passe à la place ses journées avec la nounou. A ses quatre ans, un nouveau petit frère s’est ajouté à la fratrie, il sera d’ailleurs le dernier : Raphaël.

Leurs relations commencent d’ailleurs à évoluer avec les années. Stéphane, froid et distant, n’inspire pas confiance à ses plus jeunes frères et sœurs. Il passe d’ailleurs énormément de temps avec Justine, probablement parce qu’ils suivent la même éducation. Mais, elle est différente. Plus douce et calme, elle semble avoir une aura intimant le respect. Belle l’a rapidement vue comme un modèle. Enfin… En réalité, elle n’en a pas trop eu le temps étant donné que Justine a été mariée l’année de ses dix-huit ans – Belle n’en ayant que sept à ce moment-là. Mais cette aura, elle l’a retenue. Peut-être modifiée, au fil du temps. Elle souhaite pourtant s’en rapprocher un maximum. Puis, malgré le fait qu’elle l’apprécie, ses parents ne l’ont jamais autorisée à lui rendre visite – c’était apparemment trop loin. L’enfant n’a donc plus de nouvelles depuis ce jour, et n’a jamais osé reprendre contact. Ce n’était pas l’envie qui manquait, mais d’autres petits soucis ont commencé à voir le jour.

Stéphane a mis un peu plus de temps, mais il n’a pas tardé à disparaitre non plus – pour le bonheur des deux plus jeunes qui auraient pu célébrer son départ toute la nuit et qui se sont à la place endormis  dans le même lit.

Puis les cours dans l’école des sorciers du coin ont pu débuter. Calmement au début. Belle n’est pas une enfant turbulente, on lui a gentiment appris à rentrer dans le moule : « il faut être belle, toujours présentable », tout ça, pour que son prénom ne lui ait pas été donné pour rien. Depuis toute jeune, on lui a donc appris à rester jolie ou mignonne, selon le point de vue, tout le temps (ce qui ne l’a pas empêchée de jouer avec son petit frère dès que l’occasion de présentait).

Jugement n°1 : C’est prétentieux, Belle, quand même.
Des reproches. De quoi faire douter. Ça veut dire que je ne le suis pas ? Que je ne le serai pas ? Qu’on m’a menti jusque là ?
Tous les enfants ne sont pas de bonne famille, mais ça, tous ne s’en rendent pas compte. La sorcière a du mal à accepter ces reproches, à passer outre. Elle se remet en question. Constamment. Ça en devient excessif. Elle ne comprend pas. Ne les comprend pas. Ne se comprend pas. Mais en grandissant, ça ne s’arrête pas là, bien sûr.

Jugement n°2 : ça veut dire que tu vas te marier avec la bête ? Hihihi, ça sera qui ta bête ? Ce type, là… Nan, attends, pourquoi pas le vieux prof là-bas…
Un autre, qui revient souvent. La Belle et la Bête. Quoi de plus classique qu’un Disney dont les enfants ont tendance à raffoler. Dans ce genre de moments, on préfèrerait s’appeler Alice ou Ariel. Mais non, Belle, c’est Belle.

Son caractère change petit à petit au milieu de ces sorciers. De calme, tranquille, douce, elle devient vite stressée, anxieuse, et a parfois du mal à réfréner ses sentiments. Elle sort du moule qu’on lui a créé, et ce n’est pas pour plaire à son père qui se fait de plus en plus strict vis-à-vis d’elle et de sa nourrice. Celle qu’il l’a élevée, sa deuxième mère, se fait autant gronder que l’enfant. Ce n’est pourtant pas de sa faute… Ni à l’une, ni à l’autre. Peut-on retirer la sensibilité que possède un être ? Non. Tout simplement. Il faut donc qu’elle fasse attention, tout le temps, pour garder ce calme dont elle faisait preuve auparavant. Ce calme dont faisait preuve Justine. Oui, pense à Justine, copie-la, comme dans tes souvenirs, et ne fais pas de faux pas. Retourne dans ce moule.

Les relations n’ont pas changé à l’école. Pourtant, Belle tente de faire bonne figure. De n’être qu’une décoration. Qu’on l’oublie. Oui, elle voudrait être oubliée, ne plus exister, pour ne plus subir toute cette pression sociale qu’elle ressent.

Pourtant, elle n’y arrive pas. Prendre la parole, poser une question, tout ça devient de plus en plus difficile. L’enfant n’ose plus. N’arrive plus à s’épanouir. Se pose trop de questions. Chacun de ses gestes est calculé, et la pression ne redescend pas du côté familial. Au contraire, même. Faire bonne figure, abstraction de ses sentiments, tenter d’agir comme si elle ne pense rien. Mettre un masque qui cache tout ce qu’elle ressent.

13 Juillet 2001.
La veille de sa treizième année est un de ses pires jours jusque là. L’adolescente fait de nombreux cauchemars depuis plusieurs nuits maintenant. Heureusement pour elle, c’est pendant les vacances d’été et il y a donc peu d’enfants pour la déranger. Pour autant, il reste cette pression familiale, ce jugement qu’elle doit constamment subir. Sa nourrice est présente pour son plus grand bonheur, ainsi que les frères et sœurs encore sur place pour rajouter un peu d’innocence à cette vie peu commode à la jeune fille. Et où est la place pour la magie là-dedans ? Belle l’utilisait déjà peu à l’origine, mais avec la découverte de sa malédiction, et surtout l’effet bien désagréable qu’elle a subi la première fois… Elle fait maintenant très attention et a tendance à rechigner à l’utiliser. Voir ne peut l’utiliser du tout sauf quand c’est nécessaire à l’école.

Jugement n°3 : Bah, il est bizarre ton familier… On dirait un cerf-vampire ahaha !
Les enfants qui se sont moqués de lui n’ont pas trop apprécié que ses canines se plantent dans leurs jambes ou leurs bras. Il possède aussi des bois mais pas de ramification, ces derniers sont donc cachés au milieu de ses poils. De nature calme et discrète, Jack n’aime pas que l’on embête sa nouvelle maîtresse. Donc, voilà, ça lui arrive de mordre sans crier gare. Ou bien de faire quelques commentaires déplacés lorsque sa présence a quasiment été oubliée.

A ses dix-huit ans, Belle est une jeune femme calme et neutre. Elle parait plus vieille que son âge, selon certaines connaissances. Probablement à cause de son air impassible, preuve qu’elle a réussi à se reprendre. Du moins, en partie. Ce n’est que la partie visible de l’iceberg, bien sûr.

Et puis, le jour fatidique est arrivé. Le jour où il faut se marier, se donner à quelqu’un. A un inconnu. A rencontrer la bête, comme auraient dit certains. Enfin, ça aurait été plus facile s’ils étaient venus la chercher. Au lieu de cela, ses parents l’envoient se marier en Angleterre, et elle doit prendre l’avion seule avant d’être récupérée là-bas par son fiancé ou sa famille, elle n’en sait trop rien. Belle doit juste retrouver la banderole quelque part à la sortie de l’aéroport avec son nom marqué dessus. Le vol a été très court et très long à la fois. Le stress faisait s’écouler le temps moins vite pour elle, retardant cette échéance qui arrive à grand pas. Le cœur battant fort dans sa poitrine, elle a descendu les marches de l’appareil, récupérer sa valise, puis aller à la recherche de cette pancarte. Ses yeux se sont promenés partout avant de voir son nom. Belle Leprince. Boum boum… Ce n’est pas un homme qui l’attend, mais une femme. Une servante, une sœur, une mère ? Belle ne saurait pas le dire. Et juger quelqu’un alors que c’est ce dont elle a le plus peur… Non, pas pour elle. Après de légers mots échangés, elles ont quitté cet endroit pour rejoindre le véhicule et rouler un certain temps.

Les paysages défilent, le véhicule roule à gauche. De quoi surprendre la jeune femme au premier abord avant qu’elle n’y fasse plus attention. Puis elles sont rentrées à la « maison ». Ce n’est que peu de temps après qu’elle a rencontré son fiancé, son futur mari. Un homme brun, longs cheveux, peu coiffés apparemment, et cette impression de fatigue générale qu’elle ressent. Ils ont sept ans d’écart, vont devoir apprendre à se connaître, vivre ensemble…

Les premiers jours ont été très difficiles. Tous deux ne sont pas très bavards ni démonstratifs. Il leur a fallu plusieurs années pour s’habituer, se tolérer, se comprendre, et doucement s’apprécier…

Régulièrement, Belle reçoit ses parents au téléphone.

Jugement n°4 : Pourquoi tu passes tes journées avec les gosses humains… On ne t’a pas élevée comme ça Belle.
Voilà un sujet qui revient souvent dans leurs conversations. La jeune femme les écoute sans réellement répondre, sans réellement donner son avis, subissant cet autre jugement qu’elle subit de nouveau. Pourtant, elle a bien envie de continuer et de suivre ses convictions. Si elle souhaite enseigner à des enfants, pourquoi pas ? D’autant plus que comme elle refuse toujours de trop utiliser la magie, enseigner à des jeunes Sorciers lui parait impossible. Alors sa situation lui convient parfaitement… Surtout que son mari ne semble pas préoccupé par les choix qu’elle peut bien faire.

Jugement n°5 : Belle, tu as déjà 25 ans et toujours pas d’enfants !? Comptes-tu t’y mettre un jour, à moins que vous ne soyez trop chastes !?
Trop chastes ne serait pas le mot, non. On pourrait dire qu’ils sont un couple à peu près épanouis s’ils avaient un moyen de se comparer à un autre – chose qui n’est pas du tout dans leurs habitudes. Et pourtant, elle adore les enfants.

Jugement n°5 bis : Si tu veux vraiment un enfant et que t’as des soucis, pourquoi tu ne vas pas consulter !?
Consulter… Pour qu’une autre personne la regarde, la jauge… Non. C’est difficile à vivre. Mais ne pas avoir d’enfants, plus que d’être un problème de jugement, est une envie qu’elle ressent réellement. Un manque. Alors, depuis un peu plus d’un an, elle s’est finalement décidée à aller voir un médecin pour ça, afin de déterminer les raisons et de pouvoir trouver un traitement qu’elle a commencé à prendre il y a quelques mois maintenant.

Et puis, durant les vacances d’été, Belle a reçu un courrier de la part d’un magicien. Benjamin Leroy. Directeur de la plus grande école de magie. Et prochainement de sorcellerie. De quoi surprendre la femme et surtout lui donner envie de rejoindre cet endroit. On lui offre un poste… dans les matières générales. Tout ce qu’il lui reste à faire avant de partir, c’est de convaincre Adam de quitter l’Angleterre pour les Alpes françaises. Plus que le poste à pourvoir, c’est ce qui a paru le plus compliqué. Quitter sa terre natale pour enseigner dans une école de Magie et Sorcellerie. De quoi en faire rêver certains. Ou les rebuter.

Sous l’insistance de sa femme, Adam a finalement accepté mais à une condition. Celle d'adopter un chat. Cela l'a laissée perplexe un long moment avant qu'elle n'accepte. Pourquoi maintenant un chat ? Surtout qu'elle n'a rien contre ces derniers. Mais soit. Elle a accepté et tous deux ont quitté cet endroit pour rejoindre la France et ainsi devenir professeurs dans la même école. Et adopter un chaton.