Cette journée aurait pu être parfaite. Sofia avait préparé tous ses cours à l'avance, n'omettant aucun détail, revérifiant même cinq fois sa to do list avant de tout ranger. Elle avait décidé de rentrer à Copenhague pour le week-end afin d'y revoir sa famille, notamment sa mère et son père à qui, elle le sait, elle manque cruellement. Milla avait pu profiter de ce moment de répit pour passer du temps avec ses cousins et cousines qui ne fréquentaient pas tous Sainte Catherine. Et si Sofia avait tout de même prit le temps de travailler un peu, elle avait surtout pleinement profité de ce petit break bien mérité. Il n'y a rien de mieux qu'un retour aux sources pour remplir les batteries et s'aérer l'esprit. Évidemment, comme à chaque fois que Lars et Susanne accueillaient leurs quatre enfants sous leur toit, ils avaient mit les petits plats dans les grands. Salades composées, viandes au vin, légumes caramélisés, fromages goûtus, fruits juteux ... Ils dépensaient sans compter lorsqu'il était question de l'estomac de leur progéniture. Le dîner du dimanche soir fut d'ailleurs le plus gargantuesques de tous et jamais Sofia n'avait autant mangé auparavant, même lorsque sa grossesse lui imposait des fringales impressionnantes.

Résultat, c'est pleine jusqu'au cou et aussi ronde qu'à son cinquième mois de grossesse qu'elle a regagné sa chambre, bien trop tard pour quelqu'un supposé se lever très tôt le lendemain pour retourner travailler en France. Heureusement que Milla était là d'ailleurs : c'est elle qui a tiré sa mère du lit, hurlant à qui voulait bien entendre qu'elles allaient être en retard. Elle se permit d'ailleurs de grossir la chose, imaginant déjà le professeur Jekyll la refuser à son cours en l'humiliant déjà toute la classe. Sofia avait beau lui assurer que ce n'était pas dans le tempérament de sa collègue, essayez donc de faire entendre raison à une ado. C'est donc sous les complaintes de Milla que les danoises ont quitté le manoir des Eriksen en quatrième vitesse, sans que l'adulte n'ait le temps d'avaler quoi que ce soit. Elle n'avait plus qu'à prier que l'un de ces collègues ait ramené des viennoiseries en signe d'encouragement pour cette nouvelle semaine qui débutait.

Heureusement, Sofia maîtrise le sortilège de téléportation. Seulement, comme il est impossible d'atterrir dans le domaine - question de sécurité - les danoises durent attendre que le téléphérique magique vienne les cueillir en bas de la montagne. Tandis que Milla faisait les cent pas en se rongeant les ongles, Sofia s'assurait n'avoir rien oublié à Copenhague. Elle s'est préparée tellement vite qu'il ne serait pas étonnant qu'elle est omit quelque chose. Heureusement, tout semble bien là. Poussant un long soupir, Sofia profita pour remettre un peu d'ordre dans ses cheveux qu'elle avait coiffé à la hâte. Elle découvrit avec horreur que l'élastique qui nouait sa natte tordue était décoré de la tête de Hello Kitty. Un ancien chouchou appartenant à Milla que Sofia gardait sur sa coiffeuse en guise de souvenir. Quel honte, elle ne peut pas faire cours avec ça dans les cheveux ! Elle n'a cependant pas le temps de s'en préoccuper davantage : le téléphérique vient d'atteindre le haut de la montagne et Milla se rue déjà hors de la cabine, poussant des gémissements en consultant sa montre. Les cours commencent dans deux minutes top chrono. Il va falloir mettre les pleins gaz.

Tandis que Milla explose le record du monde du cent mètres pour rejoindre le château, Sofia enchante sa valise et s'assoit dessus, à la manière d'Aladdin sur son tapis volant. Elle rattrape donc rapidement sa fille et l'attrape au passage, l'installant à ses côtés pour lui faire gagner du temps. Arrivées au pied des marches, la jeune fille colle un baiser sur la joue de sa mère et disparaît dans le hall. Sofia, elle, prend tout de même le temps de confier leurs affaires à l'un des surveillants qui accepte gentiment de s'en occuper. Heureusement, son premier cours de la journée est consacré aux Dragons : généralement, ils sont tous calmes et attentifs, contrairement aux Faunes qui ont bien plus tendance à se laisser aller. Sofia se hâte donc de rejoindre la salle de classe et la cloche résonne à l'instant même où elle arrive devant la porte. D'un coup d’œil rapide, elle s'assure que Milla est bien là et soupire de soulagement en la voyant rentrer dans la classe de madame Jekyll. Tout est bien qui fini bien, pour sa fille comme pour elle.

D'un mouvement de la main, Sofia invite les Dragons à pénétrer dans la salle de classe. Ils s'installent ainsi dans le calme et attendent patiemment le programme du jour – bien qu'ils sachent déjà tous de quoi il en retourne. Cependant, tout à sa précipitation, la danoise a totalement oublié ce devoir sur table de deux heures prévu depuis bien trois semaines. Heureusement, elle peut compter sur l'honnêteté d'une de ses élèves – ou plutôt, sur sa maladresse. En demandant à Sofia s'il fallait plus d'une copie double, elle a contribué à rafraîchir sa mémoire. Résultat, c'est sous les soupirs déçus de quelques élèves que la danoise tire sa pochette à devoir de son sac. D'un mouvement de sceptre, elle fait voler les polycopiés sur les bureaux. Comme d'habitude, elle prend le temps de relire toutes les consignes avec eux, s'assurant qu'ils comprennent tout ce qu'elle attend d'eux. Et une fois certaine que tout est clair, elle les laisse travailler, diffusant une compilation de Beethoven parfaite pour la concentration. Ce petit répit de deux heures lui permet ainsi de vérifier ses notes une nouvelle fois, s'assurant n'ayant prévu aucun autre devoir sur table pour aujourd'hui. Et bien qu'elle ait oublié avoir garder son élastique Hello Kitty, aucun élève ne lui fit la remarque, tous bien trop occupés à gratter leurs copies comme des greffiers.

Lorsque la cloche sonne, les élèves lâchent leur stylo en parfaite harmonie. Sofia rappelle alors les devoirs jusqu'à son bureau et libère ses élèves, leur souhaitant bonne chance pour la suite de la journée. Étant donné qu'elle n'enchaînait pas tout de suite avec un nouveau cours, la danoise décide de rejoindre la salle des professeurs. Bien qu'elle ait mangé comme un ogre la veille au soir, son estomac commence déjà à exprimer quelques plaintes. Elle rassemble ainsi ses quelques affaires et, Eyla sur les talons, s'engage dans le couloir, descend la volée de marche menant au rez-de-chaussé et zigzag entre les élèves pour atteindre l'aile du personnel. Là, l'ambiance est plus légère, plus calme. En gagnant la salle des professeurs, elle s'étonne de constater que seule Charlie est là. Pourtant, jamais ses collègues ne ratent la réunion hebdomadaire autour de la machine à café. Tant mieux, dans un sens. Bien qu'elle vient de passer deux heures dans le calme complet, elle ne se sent pas encore prête à suivre les discussions animées de ses collègues. D'autant plus que cela lui permet de passer un peu de temps seule à seule avec son amie d'enfance.


Sofia dépose alors ses affaires sur l'une des tables vides et aperçoit un petit sachet de viennoiseries trônant juste à côté de la machine à café. Que soit béni celui ou celle qui y a pensé. Ni une ni deux, la danoise pioche un croissant et se remplit une tasse de café bien noir, sans sucre. Elle a vraiment besoin de ça pour achever de se réveiller – et surtout, pour faire taire les complaintes de son estomac. Alors qu'elle mord dans le croissant, ses yeux tombent sur le bout de sa natte … L'élastique Hello Kitty ! Elle l'a totalement oublié, tellement pressée d'arriver … Cela signifie donc qu'elle est restée deux heures avec ses élèves et qu'ils ont tous vu le chouchou ? Quelle honte ! Horrifiée, Sofia manque de s'étouffer avec sa viennoiserie. Elle lance alors à Charlie un regard désespéré. Pitié, faites qu'elle ait un élastique noir dans ses affaires ! Certes, Sofia pourrait très bien métamorphoser l'actuel mais si elle peut économiser un petit peu de magie, elle n'est pas contre. Entre la téléportation et l'enchantement de sa valise, elle a pas mal abusé ce matin. Et quelque chose lui dit qu'elle ferait mieux de calmer sa consommation si elle ne veut pas que la Sécheresse vienne frapper à sa porte.


Mais c'est sans compter sur le regard de lynx de certains de ses élèves. S'ils ne sont pas tous des cracks en métamorphose, ils ont cependant un sens de l'observation sur-développé. Ce que Sofia pourrait saluer si elle ne craignait pas pour sa réputation.

Sofia se souvient de sa rencontre avec Charlie comme si c'était hier. Tandis que la danoise prenait toutes les distances nécessaires avec son frère pour ne pas interférer dans sa vie, l'américaine ne voulait jamais lâcher le sien d'une semelle. Du moins, au début. Au fur et à mesure, les jumeaux Jones ont emprunté des routes différentes, sans jamais s'éloigner pour autant. Sofia, elle a considéré Charlie comme son amie dès le premier jour, lorsqu'elle a croisé son regard à la cérémonie d'accueil. Une petite étincelle s'est allumée dans son esprit, lui promettant que l'américaine deviendrait bientôt sa meilleure amie. Et ça n'a pas loupé. Malgré leurs différences, les deux filles se sont tout de suite entendues, complémentaires dans leur façon de vivre et de faire. Sofia, c'était celle qui voyait la vie aux travers de l'amour et de l'affection. Charlie, c'était celle qui entrevoyait son futur entre l'épanouissement et la liberté. Résultat ? De nos jours, Sofia est mère célibataire et Charlie, mariée avec deux enfants. Comme quoi, la vie ne prend pas toujours le chemin que l'on attend. Mais malgré tous les événements qui ont secoué leurs vies, elles ne se sont jamais perdues de vue. Et se retrouver toutes les deux ici, dans ce château ayant été témoin de la naissance de leur amitié, c'est un coup du destin que Sofia salue avec chaleur. Quel bonheur de pouvoir la côtoyer de nouveau entre ses murs … même si désormais, ce sont elles les adultes responsables.

Dans tous les cas, Sofia a énormément de respect pour Charlie. Elle a suivi son rêve aussi longtemps qu'elle l'a pu, jusqu'à ce que deux petits trésors viennent se nicher dans son ventre. Trésors qu'elle a d'abord détesté de toute son âme, avant de comprendre leur véritable valeur. Évidemment, la danoise ayant connu les joies de la grossesse avant son amie, elle a tenu le rôle de la conseillère, de l'oreille attentive, de l'épaule solide. Désormais, elle est fière de constater que Charlie est vraiment heureuse et épanouie avec sa petite famille. Bien que Sofia ait un peu de mal à comprendre qu'elle puisse accepter de travailler si loin d'eux. Elle, elle aurait été prête à sacrifier sa carrière pour demeurer auprès de Milla. Est-ce la meilleure des choses à faire ? Elle ne saurait le dire. De toute façon, il n'y a pas de profil type, ni de parent parfait. Si ce choix de vie convient à Charlie et sa famille, la danoise n'a rien à en redire. D'ailleurs, elle a bien hâte de revoir les bouts de choux de son amie. Si l'américaine lui montre énormément de photographies, cela fait quelques mois que Sofia ne les a pas vu en vrai. Ils ont du tellement grandir … Ces petites choses-là, elles poussent bien trop vite à son goût !

Répondant à l'appel désespéré de Charlie, visiblement déjà en manque de caféine, Sofia lui rempli son mug de café brûlant et lui restitue son bien avant de s'asseoir à ses côtés. Toujours aucune trace de leurs collègues. Tant mieux, qu'ils se tiennent éloignés encore un petit peu. Parfois, les professeurs sont encore plus bruyants que les élèves et la danoise apprécie le calme ambiant actuel. A son grand bonheur, son amie lui tend un élastique noir. Elle non plus ne semble pas persuadé que son chouchou Hello Kitty soit passé inaperçu mais Sofia essaie vainement de se persuader du contraire. Pour l'heure, elle se hâte de retirer l'élastique enfantin de ses cheveux et en profite même pour refaire sa natte, qui n'avait vraiment aucune forme. Séparant sa longue chevelure en trois brins de tailles à peu près égales, elle les tresse avec minutie, s'assurant de bien serrer ses cheveux. Elle renferme encore sa coiffure avec l'élastique de son amie et tâte le tout pour s'assurer qu'aucun petit cheveu rebelle n'essaie de s'enfuir. Ce n'est qu'une fois satisfaite qu'elle daigne reprendre une gorgée de café, sentant déjà son estomac la remercier. Aaah, il n'y a pas à dire, cela fait vraiment du bien. Pour peu, elle ne dirait pas non à une petite sieste. Mais interdiction de se reposer sur ses lauriers ! Cette heure de trou, elle compte bien la destiner à la correction des devoirs des Dragons. Du moins, elle espère au minimum en corriger la moitié.


Sofia n'est peut-être pas une flèche en géographie, mais elle sait que le décalage horaire entre la France et les États-Unis est plutôt conséquent. Si elle comprend l'impatience de son amie, cette dernière doit tout de même se rendre à l'évidence : Peter et les jumeaux doivent être en train de dormir. Et bien que la danoise se doute que l'époux de Charlie se fait toujours une joie de lui répondre, il y a des moments où il n'est tout simplement pas en mesure de le faire. Néanmoins, cette impatience est adorable. Il est normal que l'américaine veuille avoir des nouvelles, elle qui est si loin d'eux. Ne regrette-t-elle pas, parfois ? Si cette question brûle les lèvres de Sofia, elle préfère pourtant la garder pour elle. Elle s'est promit de ne jamais critiquer les choix de vie de Charlie et compte bien d'y tenir. Elles ont beau être meilleures amies, ce n'est pas une raison pour s'en mêler. Ainsi donc, la danoise croque dans son croissant, recueillant aussitôt les miettes qui en tombe. La porte s'ouvre alors, un de leur collègue s'approche de la machine à café, se sert une tasse et, après les avoir salué, ressort aussitôt. Décidément, la salle est vraiment évitée ce matin. Se passe-t-il quelque chose ailleurs pour que cela attire autant l'attention des autres Cerbères ? Allez savoir. Sofia, elle, n'a pas le courage d'aller se renseigner. Elle préfère de loin boire une autre gorgée de café.

Café qu'elle manque de recracher aussitôt, après la réflexion de Charlie. Pourquoi lui parle-t-elle soudain de monsieur Bartosz ?! Aux dernières nouvelles, jamais elle ne lui a parlé de lui auparavant. Et dire qu'elle a un … « rendez-vous » avec lui, le soir-même, à Malnans. Si l'américaine le savait, elle inonderait Sofia de questions. Mais peut-elle vraiment le lui cacher ? D'autant plus que cette soirée n'a rien de romantique. Le polonais souhaite seulement la remercier pour son aide, et la danoise compte bien lui soutirer quelques informations concernant ses recherches. Après tout, les propriétés des Larmes de Sirène l'intéresse énormément, également. Il s'agit d'un artéfact très précieux chez les Sirènes et aujourd'hui encore elle a de la peine à réaliser qu'elle en ait reçu un globe rempli le jour de son baptême. Son regard glisse d'ailleurs sur le haut de son sceptre. La sphère est toujours là, parfaitement incrustée dans le bois. Au moindre petit mouvement, les larmes nacrées s'agitent et brillent de mille feux. Ce n'est pas si étonnant que cela ait attiré l’œil scientifique de Bartosz. Sofia espère seulement qu'il obtienne des réponses à ses questions – les Sirènes du lac lui ont offert que quelques Larmes, seront-elles suffisantes pour qu'il en tire tout ce qu'il souhaite savoir ?


Sofia se doute que son célibat est une affaire que sa meilleure amie prend très à cœur. Mais la danoise ne souffre aucunement de sa situation. Elle clame haut et fort qu'elle préfère être seule que mal accompagnée. Et bien que la danoise refuse de l'avouer, la blessure de sa séparation avec Jonas n'est pas encore totalement cicatrisée. Cela a beau faire presque quinze ans, Sofia l'aimait sincèrement et savoir qu'il a joué double jeu pendant quelques mois a été dur à encaisser. Certes, elle voulait également mettre fin à leur relation, mais elle aurait préféré que son époux soit honnête avec elle et qu'il n'aille pas compter fleurette à d'autres pendant qu'elle avait le dos tourné. Comment avoir confiance en soi, après cela ? Sofia n'était donc pas suffisamment à son goût ? Pas assez gentille, pas assez dévouée, pas assez jolie ? Et maintenant qu'une adolescent est rentrée dans l'équation, comment peut-elle se rappeler qu'elle est une femme et pas seulement une mère ? La danoise pense désormais que les amourettes, c'est quelque chose d'exclusivement réservés aux plus jeunes. Elle a eu sa chance, cela n'a pas fonctionné, mais ainsi va la vie. Nous n'avons pas toujours le lot gagnant. Et il faut savoir vivre avec.


Finalement, Sofia ne se sent pas d'avouer à Charlie que le professeur de potion et elle-même ont un rendez-vous de prévu le soir-même, au restaurant thaïlandais de Malnans. Cela ne risquerait que d'emmener davantage d'eau à son moulin !