Enfant, Éloïse était déjà très différente de ses petits camarades. Au jardin d'enfants, elle faisait de plus beaux tas de boue que les autres. En maternelle, elle dessinait mieux les ronds. En primaire, elle lisait déjà du Zola. Arrivée au collège, ce fut là qu'elle comprit que faire de plus beaux tas de boue, ainsi que tout le reste, n'était pas ce qui la rendait si différente. Éloïse Hildegarde Desmier de Chenon n'était tout simplement "pas à sa place". La puberté démarrant, elle songea premièrement à un problème de confiance en elle, lequel lui ferait questionner son existence. Mais quand les cauchemars arrivèrent, et que les catastrophes se multiplièrent autour d'elle, elle finit par avoir la présence d'esprit d'interroger ses parents.

Marius et Clotilde Desmier de Chenon, les dits-parents, furent alors obligés de lui dire la vérité : Éloïse descendait d'une famille de sorciers. Naïvement, comme ils le lui dirent eux-même, ils avaient espéré qu'elle puisse vivre loin du monde magique, en la fondant dans le monde humain. Mais c'était bien sûr sans prendre en compte sa malédiction (se rapporter au passage en italique dans le caractère pour la description de ladite malédiction), et surtout la puissance de celle-ci. Très peu de gens autour d'eux, de leurs proches, n'étaient pas au courant.

Sans même qu'elle ne s'en soit jamais rendu compte, Éloïse était en réalité dirigée subtilement jour et nuit par les compagnons sorciers de ses parents, comme on appâterait un chat avec une boite de sardines, afin de tout ignorer d'un monde auquel elle se devait pourtant d'appartenir. Elle en voulut énormément à ses parents, refusa de longues semaines durant de leur adresser le moindre mot. Mais la situation évoluant,
il fallu bien enterrer la hache de guerre : le big-bang était déjà en route.

Ainsi, sans plus de préparatifs, Éloïse fut comme catapultée dans le monde des sorciers. Ses parents lui trouvèrent une école de jeunes filles, où toutes priaient au lever, aux repas et au coucher pour un Créateur dont elle ignorait tout. Avec la vague impression d'avoir été lâchée dans l'arène face à une armée de lions affamés, elle dû tant bien que mal se faire une place. De ce qu'elle avait entendu, les sorciers étaient moins présomptueux que les magiciens, mais c'était aussi à ces petites sorcières avec elle de faire leur réputation. Et ainsi, alors qu'elle espérait se faire des amies, elle n'en trouva pas une. La scolarité fut longue, également parce qu'elle devait rattraper tout le travail déjà effectué auparavant par les autres, et que cela n'était possible qu'en veillant parfois tard, dans sa chambre, pour réviser aussi assidûment que son petit cerveau chamboulé le lui permettait.

En cours, Éloïse était connue sous le pseudo-adorable sobriquet de "Taz", le diable de Tasmanie. Elle s'en offusqua souvent, pleura même presque à chaque fois qu'elle l'entendit. Mais elle n'ignorait pas qu'il y avait du vrai, dans ce surnom : elle n'avait pas grandit en sorcière, mais en humaine. Elle avait entre les mains une puissance que ses professeurs lui félicitèrent souvent, mais cette même puissance était comme une sorte de diamant brute. Elle s'acharnait, sans cesse pour parvenir à lui donner un semblant de forme, mais les catastrophes s'enchaînant, elle fut vite cataloguée, pire que comme Taz, comme une sorcière pouvant se révéler être dangereuse.

C'est alors qu'elle réalisa, un soir dans la petite lumière de la bougie posée sur le bureau en bois de sa chambre. Son pouvoir, sa force, le tout était lié à des sentiments qu'elle maltraitaient malgré elle. A force de ne voir personne lui donner une réelle chance, voir en elle un allié précieux dont on ne pourrait jamais rien faire, elle non plus ne se donnait pas de chance. Ce fut alors le début d'un long travail sur ses émotions, lequel porta petit à petit ses fruits.

Sa scolarité finie, et son diplôme si durement obtenu en poche, elle retrouva ses parents. Ceux-ci lui conseillèrent de ne pas s'inquiéter pour une éventuelle carrière dans le monde des sorciers. Selon eux, sa puissance maîtrisée, elle pourrait très bien vivre dans le monde des humains tant qu'elle ne prenait pas la lumière aveuglante des planches et ne s'exhibait pas. Mais elle refusa avec fermeté, prit une semaine pour rassembler plus d'affaires, et s'engouffra à nouveau dans ce monde hostile que celui de la magie. Elle étudia, en parallèle de l'éducation pour les enfants comme elle, également pour pouvoir soutenir les enfants humains. Selon elle, personne ne devait souffrir d'être abandonnée dans une jungle comme elle l'avait été. Elle ne portait aucun sentiment particulier à l'égard des magiciens qui croisèrent sa route : tout le monde souffrait un jour de ce qu'il était, magie ou pas d'ailleurs.

Tout ce travail aurait pu l'amener à devenir psychologue. Mais ce fut le calme paisible des bibliothèques, le silence et le peu de contact avec les autres, en ayant toutefois la possibilité de les aider, qui la charmèrent. Ainsi, lorsqu'elle reçut une convocation pour rejoindre l'école Sainte Catherine acceptant tout récemment les sorciers également, elle ne douta pas une seconde. En route pour l'aventure ! Elle ne se doutait simplement pas, en se mêlant à ce joli petit bazar, qu'elle serait encore si différente. Peut-être, après tout, n'était-ce pas uniquement sa magie, mais également sa propre personnalité ? En franchissant l'incroyablement imposant portail, elle rentra les épaules. Fais-toi petite, Éloïse, et tout ira bien, personne ne saura pour ces vieilles histoires laissées derrière toi.