« Ta gueule c’est magique. » Tous tes « potes » l’ont entendue au moins une fois, cette phrase. Bien sûr, simples humains qu’ils sont tous, aucun d’entre eux ne t’as jamais crue. Ils prenaient ça comme une boutade, une blaguounette que tu balançais à tout va pour justifier ta chance. Une chance de cocue, qu’on a tendance à dire. Une chance arrogante, qui t’as sauvée de nombreux bleus et os cassés. Toi, tu leurs disait exactement ce qu’il se passait, mais ces idiots ne comprennaient jamais, incapables de voir plus loin que le bout de leur nez. C’est ça, d’avoir passé la quasi-totalité de ta vie à fréquenter des humains - des gens normaux.

Mais de toute façon, toi t’en as rien à foutre de qui tu fréquentes. Humains, sorciers, magiciens ; de toutes manières ils ne restent jamais trop longtemps dans ta vie. Non pas que t’aimerais pas, bien sûr, mais parmi tous les parents sur qui t’aurais pu tomber, il a fallu que tu te tapes ceux qui savent pas rester en place. Dur dur de garder quelqu’un dans sa vie quand t’as déjà fait deux fois le tour du monde à treize ans à peine. On s’y fait, mais ça fait chier. T’as jamais eu la chance d’avoir une meilleure amie, t’as jamais connu les soirées pyjamas entre filles. T’as juste eu l’occasion d’être « une connaissance » pour un sacré nombre de gamins à travers le monde. Et tu n’as jamais trouvé cela juste.  

T’as passé ta jeunesse devant les séries télé, à fantasmer sur les collocations entre potes et les retrouvailles journalières au bar du coin. T’as vraiment essayé d’en arriver là avec de vrais gens. A chaque déménagement, tu fonçais dans les coins populaires de la ville, quite à aborder tout le monde et n’importe qui dans la rue pour leur proposer d’aller boire une café latte avec toi. Bien évidemment, les relations humaines, ça marche pas trop comme ça. Mais qu’est-ce que tu pouvais bien en savoir, toi ? Tu sais pas comment te faire des amis. T’en as jamais eu. Des potes, oui. Ces gens avec qui tu tuais parfois le temps au skatepark du coin, accompagnée de tes frères, toujours là pour te surveiller, au cas où.

Au cas où. Parce qu’à leur yeux, tu as toujours été une petite fille sans défenses, prête à se faire bouffer par tous les grands méchants du monde. Pourtant, ils auraient dû être bien placés pour savoir que t’étais pas incapable de te défendre. C’est eux qui t’ont appris à boxer. Et autant le dire, tu boxes comme un vrai petit bonhomme. T’aimes peut-être un peu trop taper dans des trucs, même. T’as le poing facile, si on te provoques, t’es pas le genre à regarder le sol et à prier pour que ça s’arrête. Nope. Toi t’es plutôt le genre à prendre les armes et à provoquer à ton tour, à tes risques et périls. Mais tu ne fais que respecter ce que tes frères t’ont toujours demandé de faire ; ne pas te laisser marcher dessus.

Plus jeune, t’avais peut-être pris ce conseil un peu trop au pied de la lettre, puisque tu as avais foutu une droite à un pauvre monsieur qui avait eu le malheur de te marcher sur le pied dans un métro bondé. Une vraie petite guerrière, la petite sœur. Ca t’aura souvent valu de te foutre dans des situations peu recommandables. Entre ta grande gueule et ta confiance en ta capacité de combattante, t’as jamais hésité à te friter avec quiconque te chercherait des noises. Mais là comme toujours, tu t’en sortais rarement mal. Parce que c’est magique, n’est-ce pas ?

Faut le dire, en même temps, la magie c’est plutôt pratique. Ca aide beaucoup dans la vie de tous les jours, tu t’en es vite rendue compte. Alors pourquoi s’en priver ? Combien de fois t’as failli griller ta couverture devant la race inférieure ? Combien de fois t’es-tu fait réprimander par tes parents parce que t’avais eu le malheur de te servir de la magie dans un lieu non approprié ? T’as arrêté de les compter y’a longtemps. Et puis, au diable les réprimandes et les personnes qui ont eu des soupçons ; t’es jamais restée assez longtemps au même endroit pour que cela te porte réellement préjudice.

Et cette façon de penser a largement marqué ta façon de vivre. Tu t’en foutais de faire des conneries, parce que dans peu de temps, t’allais changer de ville et recommencer sur un canvas neuf. Et parfois, de toute façon, jouer les caïds était la seule façon de t’intégrer. Tu partais, skate sous le bras et casquette à l’envers sur ton crâne, toutes les après-midis rejoindre le groupe de personne dans lequel tu avais réussi à t’incruster. Et s’ils décidaient de faire une connerie, tu suivais. Plus par peur de perdre tes seuls camarades que par réelle envie d’aller voler des bonbons, avouons-le. Mais c’était les seules personnes avec lesquelles tu arrivais à t’intégrer, alors tu prenais ce que venait ; fallait pas que tu fasses la compliquée non plus, hein.

Quel dommage, tu aurais eu tant à offrir à de « meilleures personnes ». A de véritables amis. Tes frères pourront en témoigner, t’es pas quelqu’un de mauvais. T’as peut-être la tête un peu dure, il est vrai, et t’es peut-être pas la plus raffinée des nanas - mais ça c’est la faute à tes frères, qui ont plus fait de toi un garçon manqué qu’une petite princesse - tu gardes un bon fond. Tu ne veux de mal à personne - à part à ceux qui, d’après tes critères, le méritent, évidemment - et tu serais probablement une amie fidèle et sur laquelle on peut compter, si seulement on te laissait le temps de montrer de quoi tu es capable.

Il n’y a qu’à voir la facilité que tu as à venir en aide à de parfaits inconnus et à ne les lâcher que lorsque tu es sûre que tout va bien pour eux. Quelqu’un de mauvais, qui n’aimerait pas les gens, ne prendrait aucun plaisir à réaliser pareilles actions. Mais toi t’y vas sans même réfléchir, parce que tu ne te vois pas laisser quelqu’un dans le mal. C’est louable, bien sûr. Mais fais gaffe à pas te faire bouffer. C’est pas encore arrivé, mais ça arrivera, un jour ou l’autre. Tu tomberas sur quelqu’un de manipulateur, qui saura jouer de ta faiblesse pour les autres et retourner ton altruisme contre toi. Ce sera à ce moment-là que l’on décidera si tu es totalement naïve ou si tu as un minimum de jugeote. Au pire, ce sera une bonne occasion pour te forger un semblant de caractère.