« C’est tranquille, n’est-ce pas ? »

Ambre relève sa tête, puis ses oreilles vers moi. Nous sommes toutes deux allongées sur l’herbe, non loin du lac, depuis maintenant une bonne heure. Les cours terminés, j’ai souvent l’habitude de m’éloigner du brouhaha du foyer commun ou des dortoirs afin de venir me réfugier ici, au bord de l’eau.
« Sans réviser. »
Mais réviser n’est pas la chose la plus urgente qui soit. Non ?
En tout cas, je suis particulièrement tranquille ici, malgré la proximité inquiétante des sirènes. Mais bon, elles ne peuvent pas vraiment venir nous voir, nous sommes bien trop loin du bord. A part se dandiner hors de l’eau, elles ne pourraient pas faire grand-chose pour venir à nous. Et pour ma part, je ne me risquerais pas mettre un demi-orteil dans l’eau. On ne sait jamais ce qu’elles pourraient nous faire. Je ne veux pas vraiment qu’on me retrouve noyée demain matin.
« Tu as peur pour rien, non ? »

« Je suis prudente, voilà tout. »

Je retire une feuille morte qui était tombée entre les deux oreilles de ma daine. Celle-ci secoue la tête en tentant de m’attraper le bout des doigts, sans réel succès. Puis je me rallonge sur son ventre en fermant les yeux. Il m’est arrivé une paire de fois que je m’endorme ici, lorsque le temps était plus clément. Maintenant, j’hésite même à y rester aussi tard qu’auparavant, notamment à cause du froid et de la nuit qui tombe plus vite. Bientôt, je devrais peut-être être obligée de fréquenter le foyer commun en compagnie des autres élèves, dans l’agitation et le bruit. Rien que cette idée me fait frissonner.
« Tu devrais peut-être penser à aller vers les gens de ta classe. Ou de ta chambre. »
Ambre a sûrement raison. Je n’ai que très peu parlé au reste de ma classe depuis le début de cette année, qui est désormais tout de même bien entamée. Quant à ma chambre, je n’y vais que pour dormir. Même si j’aime bien ma tranquillité, je ne pourrai pas rester seule tout l’année en compagnie de mon familier. Après tout, la fille qui est dans ma chambre ne semble pas bien méchante.
« C’est une Magicienne. »
Certes. Mais sait-on jamais. Je ne lui ai jamais vraiment parlé, je ne peux pas savoir… Qui sait ? Et c’est pareil pour ceux de ma classe. Je connais leur nom, et encore. J’ai peut-être déjà dû parler à mes voisins de table mais sans réelle suite.
En tous cas, je vais encore profiter un peu de ma sieste en dessous de cet arbre, en compagnie d’Ambre et ma tranquillité chérie.

« Il reste encore un peu de soleil, ce serait dommage de ne pas en profiter, n’est-ce pas ? »

Je penserai à aller vers les autres un autre jour.
« Comme pour réviser ? »

« Tu stresses pour rien, Ambre. De ce qu’on a vu, ça ne paraît pas bien complexe. »

« Et si tu redoublais ? »
Ce serait étonnant. Je n’ai jamais redoublé de ma vie, ce n’est pas maintenant que je vais commencer. Enfin, je n’espère pas. Sinon, je ne recevrai que la monnaie de ma pièce, et peut-être que je me bougerai plus l’année prochaine. On verra bien.
Pour l’instant, restons tranquille. Il n’y a aucune urgence immédiate. Pour l’instant, profitons du soleil, du peu de chaleur qui reste, du crépuscule et surtout du calme que personne ne viendra troubler.

Enfin… A part peut-être ce mec.

Je me réveille brusquement lorsque j’entends les feuilles mortes craquer à côté de moi. Enfin… Je ne dormais pas vraiment, mais je sentais mon esprit légèrement tourner derrière mes yeux fermés. En bref, je m’endormais. J’aurais pu être bien si ce gars n’était jamais apparu. Je me redresse pour seulement voir un blondinet, apparemment vexé pour une mystérieuse force extérieure, assis en tailleur à tes côtés, les joues gonflées. L’image cocasse d’un hamster m’apparaît alors.
Mais avant toute chose…. C’est qui ce gars ? Quelle idée aussi de venir s’asseoir ici ?
« Il peut s’asseoir où il veut, non ? »
Oui, mais il y a un certain espace vital à respecter pour le confort de tous.
« Surtout le tien. »
Surtout le mien. Et puis, pourquoi un mec parfaitement inconnu viendrait se poser à côté de moi, alors que je suis tranquille, sous un arbre, et que je ne demande rien à personne ?

- Avoue, je pouvais pas savoir que ton familier est une daim !

Attends… C’est vraiment pour cette raison qu’il s’est ramené ? Mais c’est parfaitement idiot.
Je le fixe, puis me rends finalement compte que ce garçon n’est pas si inconnu que prévu. C’est Léo, qui est dans ma classe, qui se trimballe toujours avec une guitare dans le dos. Et un énorme serpent qui me met mal à l’aise. D’ailleurs, je réprime difficilement l’envie de m’en éloigner.
« Sociabilisation, Zoé. Sociabilisation. »
Sociabilisa-quoi ?
Bon, Ambre a raison, je dois bien le reconnaître. Léo ne m’a pas agressé en venant s’asseoir ici non plus. Et même si je ne lui ai jamais vraiment parlé, il faut reconnaître qu’il n’est pas méchant. Voire même plutôt rigolo avec son tempérament carrément à l’opposé du mien, il faut avouer. Il faut bien quelqu’un pour animer les cours, après tout. Eh bien, dans ma classe, c’est Léo qui s’en charge.
Parfois, ça m’agace. Parfois ça me fait rire.

- Ben c’en est une. A cause… Euh… Des tâches ? Et de l’absence flagrante de bois ?

« Bravo. »
Merci. Avant ma rencontre avec Ambre, je n’y connaissais rien en cervidé. Maintenant, je m’améliore. Et puis je pourrais dire la même chose de son serpent. C’est quoi ce machin ? Un anaconda ? Un cobra ? Je n’ai pas vécu dans une forêt tropicale, sauf erreur de ma part. En tout cas, ce n’est pas le genre d’animal que j’irais approcher de mon plein gré, ni même pour une très grosse somme d’argent. Je tiens à ma vie, tout simplement.
Je toussote.

- Hum… J’espère qu’il est sage, ton reptile, hein ?

Inutile de m’angoisser plus que nécessaire, autant lui demander directement. Je réprime une nouvelle fois un frisson désagréable, afin d’éviter de froisser son Sorcier. Sait-on jamais.

- Et c’est quoi, d’ailleurs ?

Mine de rien, même si son serpent m’angoisse, il est vrai que j’aimerais bien savoir ce que c’est finalement. Je n’aime pas ne pas savoir.