Ta vie n’a jamais été bien palpitante, à vrai dire. Enfance sans histoire, adolescence sans histoire… La vie de tout être humanoïde, en somme.

Tu es née dans une famille normale, ni pauvre, ni riche, se contentant du nécessaire pour survivre, avec des parents dont l’amour était inébranlable, un frère que tu considérais comme un modèle et un autre dont tu ne voyais pas souvent le visage. D’après ce que tes parents te racontaient, votre famille avait été bien plus prestigieuse, dans le passé. Mais peu t’importait, tu étais heureuse, sans manoir et dix majordomes à tes côtés.

Tu as grandi sans réel problème, tes parents te transmettant les valeurs qui leur semblaient importantes. Tu n’avais pas d’excellentes notes à l’école, tu étais turbulente, n’arrivant pas à t’adapter au système en place. Alors, pour essayer de te canaliser, tes parents te firent faire divers sports ; ton amour pour les sports de combat et les arts martiaux fit surface. Avec ton frère le plus présent, vous faisiez les quatre cent coups, en faisant voir de toutes les couleurs à votre entourage. Tu tissais un lien très fort avec ton frère, qui était ton confident, mais aussi presque ton « meilleur ami ». Tu aimais aussi beaucoup ton autre grand frère, bien qu’il soit peu présent pour des raisons qu’il ne t’expliquait pas. Et qu’il ne t’expliquera jamais ; il mourut mystérieusement. Accident ? Meurtre ? Tu ne sus jamais vraiment, tes parents restant très flous. Tu t’accrochais dorénavant encore plus à ton frère restant, de peur qu’il ne parte lui aussi. Mais, au fur et à mesure, tu pensais sérieusement que sa mort n’était pas un accident, et qu’une certaine espèce humanoïde y était pour quelque chose.
Les magiciens, tu ne les avais jamais vraiment appréciés. Ils étaient trop… parfaits, à vrai dire. La mort de ton frère, en plus de te bouleverser, aggrava les choses, le temps n’aidant absolument pas. D’abord, tu les as détestés, puis haïs. Tu en as rencontré peu, mais le peu rencontré ne fit que renforcer la haine que tu avais envers eux.

Quelques mois après la mort du frère, naquit la petite sœur. Tu la chouchoutais, devenant sur protectrice ; et s’il lui arrivait la même chose qu’à ton frère ? Au moins, tes parents pouvaient compter sur toi pour la garder lorsqu’ils s’absentaient. Quant à ton frère, lui aussi était de moins en moins présent, ce qui t’inquiétait aussi.
Puis, à tes quatorze ans, tu reçu la marque maudite sur ton cou : dans ton rêve, tu étais sous l’eau, cherchant désespérément à remonter à la surface pour respirer ; mais plus tu essayais, plus la surface s’éloignait et tu t’enfonçais. Tes parents t’avaient réveillée, voyant que tu commençais à t’étouffer toute seule. Ils t’avaient ensuite expliqué du mieux qu’ils pouvaient ce qu’il t’était arrivé tout en te rassurant. Un peu plus tard, tu avais demandé les origines de cet étrange cauchemar : quelle ne fut pas ta surprise de voir que c’étaient ces gentils petits magiciens qui étaient à l’origine de tout cela ! Ta haine envers s’agrandit encore plus.

Ta vie tranquille continua sans encombre après cet épisode, bien que tu eu un peu peur de continuer à utiliser ta magie au début. Cependant, plus cela allait, plus tu te sentais mal à l’aise. Tu n’arrivais ni à t’identifier aux filles, ni aux garçons. Tu avais l’impression de te forcer dès que tu essayais de faire comme les autres, de correspondre aux attentes. Pourquoi ? Tu ne savais pas, et cela te rongeait. Tu aurais pu ressentir ce mal-être toute ta vie si quelqu’un n’avait pas un jour évoqué un curieux concept nommé non-binarité dans une discussion. Curieuse, tu es allée chercher un peu tout cela, et tu as découvert un monde bien étrange où l’on pouvait être homme et femme, être aucun des deux, changer en fonction des périodes voire même associer une couleur, un élément. Malgré tout, cela te restait obscur et étrange : comment était-ce possible ?
Le déclic, tu ne l’eus que plus tard, en fixant le feu danser joyeusement dans la cheminée. Il était si chaud, si libre… Si inoffensif en apparence, brillant, et pourtant si dangereux… Puis tu repensas à ces personnes pour qui le genre était un élément… Sans que tu ne puisses l’expliquer, un sentiment de bien-être, d’harmonie envahie ton être tout entier. Tu sentis ton cœur sauter dans ta poitrine, ta gorge se nouer, les larmes te monter aux yeux. A cet instant, tu étais la plus heureuse des personnes sur cette terre, tu nageais dans le bonheur. Tu sentais un feu brûler au plus profond de ton être, réchauffant ton âme meurtrie et illuminant ton esprit.
Etait-ce ça, se sentir en harmonie avec soi-même ?

Avouer ta différence à tes proches fut particulièrement difficile. D’abord, tu n’osas pas, puis lorsque tu voulus leur dire, tu ne trouvas pas les mots pour définir ce que tu ressentais, ce que tu étais. Même en utilisant le nom que tu avais réussi à trouver après nombreuses réflexions, tu avais l’impression que ce n’était pas très clair pour les autres. Et bien évidemment, de nombreuses remarques se voulant innocentes fusèrent, à tel point que tu avais décidé de t’amuser à les compter. En même temps, tu avais l’impression d’être la seule à être ainsi, et cela te désolait.

Tes parents, en attente d’un nouvel enfant, décidèrent de t’inscrire à Sainte-Catherine, après en avoir bien sûr discuté avec toi. Bien que réticente au début à cause de la présence d’êtres répugnants, tu finis par céder face aux demandes de tes parents. Etait-ce pour te vacciner contre cette haine envers les magiciens ? Tu avais le secret espoir d’y retrouver ton autre frère, qui avait disparu voilà trois mois.

Après de longs et déchirants adieux, te voilà devant l’enceinte de cette fameuse école pas comme les autres, accueillant magiciens comme sorciers, sans la moindre distinction…

Du moins, sur le papier.